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Bienvenue dans le monde du conso-battant

Le marketing de la grenouille à (l’accent est essentiel, surtout dans le climat de tension orthographique actuel) « La tête dans les nuages »

La promesse d’une évasion déroutante un soir d’hiver au cœur de la capitale a su séduire le gratin du marketing parisien. C’est en sous-sol, dans une petite salle reculée à l’abri des écrans et des machines promettant une échappée dans l’univers du jeu vidéo, qu’a eu lieu, mardi 16 février, la conférence sur le livre « Le marketing de la grenouille« , conférence organisée (transparence) par Visionary Marketing pour le compte de son client Promise Consulting et des auteurs de l’ouvrage : Philippe Jourdan, Valérie Jourdan et Jean-Claude Pacitto. Une plongée instructive dans l’univers du conso-battant qui n’a peut-être pas laissé indemnes les marketeurs participants et leur twittosphère hautement sollicitée.

L’assistance lors de la réunion sur le marketing de la grenouille

Le conso-battant, liste de courses en poche

Paris, un jour de semaine « normal ». Une liste de courses en poche, direction Carrefour market. La première mission – trouver du riz blanc – n’a rien de bien compliqué… en apparence du moins. Pourtant, en arrivant devant le rayon, comment « bien » choisir entre le riz incollable 10 mn, le riz, également incollable, mais cuisant en 12 mn, le riz basmati, le riz Thaï… Première étape d’une déambulation toujours plus angoissante dans les rayons du supermarché où shampoing, déodorant, yaourts… ne semblent pour la victime consommante que les instruments diaboliques des marques pour le mettre en état de stress, le faire douter de la pertinence de ses choix et finalement abandonner tout libre arbitre pour déclarer forfait en attrapant au hasard n’importe quel paquet, sachet ou pack en redoutant l’instant fatidique de la délivrance à domicile où il devra peut-être se rendre à l’évidence qu’il a fait le pire des choix possibles. C’est par un récit dans les méandres de la consommation de tous les jours que Valéry Pothain, journaliste économique, a introduit la conférence organisée à l’occasion de la sortie du livre « Le marketing de la grenouille » dont il a écrit la post-face.

Du consom’acteur au conso-battant

Le consom’acteur aurait-il cédé la place au conso-battant ? Une chose est sûre : le consommateur est entré en guerre contre les marques et la dévotion inconditionnelle tend à laisser place au papillonnage raisonné, comme le montre une étude du cabinet Mc Kinsey qui révèle que 70% des consommateurs entrant dans un hypermarché pour y acheter un produit d’une marque précise sont susceptibles de changer d’avis. « Où est le client dans les 4P qui régissent le fameux mix marketing?« , s’est interrogé Philippe Jourdan, observant l’entrée dans une ère de disruption généralisée due à l’arrivée dans le quotidien des consommateurs des nouvelles technologies ayant permis à de nouveaux acteurs proposant des services et des prix très attractifs de s’imposer. Dans ce nouveau monde de la consommation, les marques sont sur la sellette car les consommateurs ont, semble-t-il, perdu leur candeur. Ils sont de moins en moins dupes et ne sont plus prêts à payer plus pour un produit ou un service ne présentant pas de réelle valeur ajoutée. « Il est urgent de comprendre le lien entre digital et nouvelles pratiques de consommation », a estimé Philippe Jourdan.

Portraits-robots des 5 conso-battants

Placer le client au centre, voilà le défi du « marketing de la grenouille » ! Mais encore faut-il comprendre le client, le consommateur. Le comprendre ou plutôt les comprendre car, à y regarder de plus près, le consommateur n’est pas un mais multiple :

  • Il y a d’abord le négociateur dont la mission est d’obtenir toujours le meilleur prix ou un avantage supplémentaire. En croissance exponentielle, il s’estime informé voire expert et représenterait 18% de la population. Face à ce conso-battant, les marques- bien obligées de répondre aux hostilités lancées par la conso-sphère – doivent combattre sur plusieurs fronts. Elles doivent d’abord former le personnel à l’art de la négociation en donnant aux vendeurs plus d’autonomie pour négocier avec les clients et les suivre sur tous les canaux de communication afin de garantir une continuité du dialogue. Deuxième mission: couper l’herbe sous le pied du négociateur qui aspire à plus de transparence et souhaite être en mesure de comparer pour rester maître de ses choix.
  • Second profil de conso-battant – représentant 15% de la population – le vigile. Ces procrastinateurs en puissance sont le cauchemar des marques. Leur occupation favorite : comparer, s’informer et ne jamais céder à la tentation sur un coup de tête. La solution pour les marques : intégrer les magasins virtuels et physiques dans un seul et même parcours client voire enrichir l’expérience en magasin, à l’instar de l’enseigne allemande d’articles de sport Globetrotter qui n’hésite pas à proposer à ses clients de tester le matériel en conditions réelles. Envie d’essayer une combinaison de plongée ? Eh bien, plongez, justement ! Besoin d’une doudoune chaude pour randonner l’hiver ? Venez donc faire un tour dans la chambre froide! (sans aucun sous-entendu…).
  • Troisième conso-battant, sans doute l’un des plus redoutés des marques : le récessionniste qui représente aujourd’hui le quart de la population. La raison de ce comportement n’est pourtant pas à chercher bien loin. La crise, le chômage, la pauvreté ont beau être la bête noire des marques, il faut bien compter avec. La solution pour les marques : redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs en baissant les prix ou en en donnant l’impression en réduisant les volumes, comme le fait judicieusement Dop qui mise sur les petits conditionnements destinés à un usage quotidien ou presque. La stratégie, qui existe déjà depuis longtemps dans les pays du Tiers monde, gagne aujourd’hui les pays industrialisés. Et si elle n’est pas très écolo, elle est apparemment psychologiquement efficace. Enfin, autre solution qui remporte un franc succès : baisser les prix sans déclasser, comme le fait Monoprix avec sa gamme de P’tit prix qui mise en quelque sorte sur la mixité sociale au sein de ses magasins entre cadres à haut pouvoir d’achat et étudiants obligés de compter sans avoir envie de faire leurs courses dans les enseignes de hard discount.

vidéo : le conso-battant en 3 minutes par Philippe Jourdan

  • Quatrième profil de conso-battant : le minimaliste qui représente déjà 21% de la conso-sphère. Son souci : ne plus en avoir. Sa solution : diminuer son niveau de contraintes. Sa devise : pour vivre heureux, visons simplement. Respect de l’environnement, envie de temps libre : les raisons de céder à la tentation minimaliste est grande pour les conso-battants stressés dépeints par Valéry Pothain en début de conférence. Face à ces conso-battants qui sont peut-être les plus redoutés des marques parce que tenter le minimalisme, c’est souvent l’adopter, les marketeurs ne sont toutefois pas prêts à jeter l’éponge. Alors pour séduire ces « anti-consommation », rien de tel que de jouer le jeu de la transparence et de la simplicité… la stratégie caméléon a déjà fait ses preuves ! Autre solution : renouer avec plus de proximité quitte à réduire le choix afin de jouer la carte du bien-être, de permettre aux consommateurs de perdre moins de temps en faisant leurs courses. C’est la carte que joue depuis toujours Ikéa qui n’a pas hésité à baptiser l’une de ses gammes « Simplicity therapy« ! Soigner ses « consopathologies » à coup de meubles au design minimaliste, pourquoi pas ?
  • Enfin, le voilà, celui que l’on redoute tout en l’admirant, celui qui agace autant qu’il fascine : le conso-battant touche-à-tout qui représente 21% des consommateurs (et 40% des marketeurs présents à la conférence!). Cet être imprévisible, omniscient et antisystème connaît toutes les ficelles. Il privilégie la commodité pour avoir plus de temps pour ses loisirs et n’hésite pas à collaborer avec les marques à condition d’en tirer un profit personnel. Plus de temps et moins de contraintes, c’est son credo. Son maître-mot : commodité ! Pour lui, pas de modèle unique et une propension non négligeable à s’intéresser à l’économie collaborative. La solution pour tenter de capter ce conso-battant : jouer la transparence, faciliter la comparaison, démultiplier les points de contact pour s’adapter à son processus d’achat « circulaire » et surtout le flatter pour qu’il se sente maître de ses décisions, de sa « consom’action ». Un marketing inversé en quelque sorte…

Et la grenouille dans tout ça ?

grenouilleLa vitesse des changements rend inopérante la planification marketing classique, la transformation digitale signe la fin des processus top-down. C’est aussi la fin du marketing fondé sur la défensive et l’attaque passive… Les conclusions de Philippe Jourdan sont sans appel : il faut faire avec les nouveaux conso-battants. Alors qui du marketeur ou du consommateur fait figure de grenouille? Comme elle, le marketeur possède des yeux disproportionnés pour avoir une vision à 360° des besoins des clients ; comme elle, il se fond dans son environnement grâce à ses couleurs tantôt chatoyantes, tantôt discrètes ; comme elle, il rebondit loin et vite en cas de changement brusque des règles du marché. Mais le consommateur n’est-il pas aussi un peu grenouille ? Si la grenouille a besoin d’une hausse brusque de la température de l’eau où elle marine pour s’échapper de son bouillon mortifère, le consommateur réagit – et parfois violemment – aux modifications brusques de son environnement qu’il observe aujourd’hui. Rebondir pour ne pas mourir : la leçon méritait bien un ouvrage et une conférence sans doute.

Pascale Decressac

Consultante Rédactrice pour Visionary Marketing, Pascale Decressac est une touche-à-tout qui s'intéresse à des sujets très variés allant de l'urbanisme aux collectivités territoriales en passant par la relation client et la restauration. Des domaines apparemment très différents où les frontières ne sont pourtant pas si étanches et où le digital est souvent sinon toujours présent.
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