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Pourquoi les médias sociaux ne seront jamais des mass media

Mass media et médias sociaux sont deux choses bien différentes et même si les médias sociaux sont massifs, ils n’en restent pas moins des médias affinitaires, à la différence des médias de masse. J’ai utilisé la formule « mass media sociaux » quelques fois, par provocation autant que par conviction, afin de réveiller les consciences. Les médias sociaux sont devenus, pour beaucoup (trop de) professionnels de la communication des « mass médias sociaux ». Pourtant, un grand nombre de contradictions peuvent être apportées à cette vision des médias sociaux comme un nouveau média de masse et il est temps de revenir aux fondamentaux, comme nous l’avons déjà réclamé dans cet article de e-marketing et au travers de cette table ronde du Web business. Dans cet article, j’expliquerai pourquoi les médias sociaux ne seront jamais des mass media.

Pourquoi les médias sociaux ne seront jamais des mass media

 

Pourquoi les médias sociaux ne seront jamais des mass media
Pourquoi les médias sociaux ne seront jamais des mass media : à gauche la logique publicitaure traditionnelle, à droite la logique du bouche-à-oreille. A noter que les bons publicitaires savent aussi jouer de la logique de droite.

Consommateur, je t’aime et te connais

La vidéo suivante (merci à Christophe Marée d’Adobe de l’avoir partagée; NDLR il semblerait qu’il s’agisse d’une publicité Microsoft, comme quoi les publicitaires ont de l’humour) résume brièvement la situation : sous couvert d’ « amour » et de reconnaissance, les publicitaires rentrent faussement en contact avec le client, et cela finit en divorce. N’en déduisez pas que je suis publiphobe ni que la démarche publicitaire n’est d’aucune efficacité ni encore moins qu’elle n’est pas capable d’éveiller désirs et comportements. Rien n’est plus faux (voir la brillante démonstration de l’importance de publicité dans le livre de Byron Sharp « How Brands Grow »).

Confusion entre mass media et médias sociaux

C’est que le vrai problème se situe beaucoup plus autour de la confusion entre ces 2 pôles d’un même monde : mass media et médias sociaux.

Les mass media jouent la rareté du contenu : dans les médias traditionnels, les contenus sont exclusifs, du moins le plus possible, et ils sont en nombre limité. Le but du jeu est bien d’exposer ce contenu à un 1 maximum de personnes. Les records d’audience, même dans un petit pays comme le nôtre se mesurent en dizaines de millions. On le verra, les chiffres méritent un peu de réflexion.

Marketing mass media
les mass media répondent à une logique de pénurie du contenus, exclusifs, pour de larges audiences

Les médias sociaux fonctionnent quant à eux exactement à l’opposé : le contenu y est abondant, clôné et clônable, la norme étant non pas le copyright et l’exclusivité comme dans les médias traditionnels, mais la licence Creative Commons. Ceci est vrai aussi en B2B, car il ne faut pas confondre licence Creative Commons et contenus libres de droit : certaines règles s’appliquent également aux contenus en ligne.

Marketing bouche a oreille - mass media vs médias sociaux
les médias sociaux répondent à une logique de bouche à oreille dans un environnement où le contenu est pléthorique, les groupes de lecteurs ou de participants (et non des audiences) sont petits et cloisonnés et où l’exposition au media (“message”) est faible voire même raccourcie par la plateforme (Facebook réduit les edgeranks de vos pages pour vous inciter à payer de la publicité)

Les « audiences » médias sociaux n’en sont pas : sur les médias sociaux, il n’y a pas de masses passives, même si les producteurs de contenus restent marginaux, et on ne parler véritablement d’ « audience » dans ce cas, à savoir d’un groupe d’individus qui regarde le même contenu, au même moment, sans interaction (je mets à part l’interaction sur les médias sociaux ou social TV alias Télévision Sociale, un phénomène somme toute marginal et qui tend à se focaliser sur d’autres sujets que celui qui est regardé à la TV). Ce terme d’audience, utilisé par Médiamétrie dans le cas des sites Web me paraît complètement erroné pour décrire les visites sur ces « médias en propre« .

Sur le Web, chaque utilisateur réalise son propre parcours, picore des informations dans l’ordre et la manière qu’il désire ; et surtout de manière synchrone. Enfin et surtout, dans le cas des médias sociaux, le termes est encore plus erroné car il ne correspond à rien.

Imaginez que vous publiez quelques tweets sur vos 13 000 abonnés Twitter (alias « followers »), un chiffre assez important pour un utilisateur « normal », ni expert, ni célèbre ; pour être très précis, ce score vous placerait dans les 250 premiers utilisateurs de Twitter parisiens et même devant certains clubs sportifs). Si vous calculez votre « reach » (votre audience), avec Tweetreach.com par exemple, vous aurez ainsi l’impression d’avoir atteint des dizaines de milliers de personnes (une véritable « audience ») en un seul message mais il s’agit que d’une aggrégation de chiffres de lecteurs potentiels qui ne veut strictement rien dire.

Mass media - Médias sociaux - les différences
Manquant d’imagination j’ai pris une recherche sur mon propre nom Twitter. Mais recherchez sur un hashtag et vous atteindrez des chiffres d’audience (potentielle) énormes … et complètement faux.

Or, Twitter, comme Facebook (voire un peu plus que Facebook car ce dernier est plus statique) sont des outils de flux, un peu comme une chaîne d’information continue par exemple (la comparaison est limite mais c’est pour simplifier). Pour vous assurer que beaucoup de personnes voient votre « message », il vous faudra le relancer plusieurs fois (c’est pour cela que je publie mes articles plusieurs fois dans une journée sur Twitter afin de maximiser leurs vues, sans poser l’hypothèse que tout le monde était devant son écran au moment du premier tweet).

Ce phénomène est encore accentué par le fait que les timelines de Twitter, Facebook etc. sont dissociées des comptes utilisateurs (elles s’affichent et vivent en parallèle) et que vous pouvez très bien utiliser vos comptes en publiant sans arrêt sans vous préoccuper de ce que disent les autres.Et Dieu sait que beaucoup font cela.

Ajoutez à cela que des plateformes comme Facebook réduisent la porté de vos messages (grâce au fameux edgerank et son bidouillage incessant) et vous arriverez vous-même à la conclusion que les médias sociaux ne peuvent en cela se comparer aux mass media où la diffusion se fait vers l’ensemble de l’auditoire (imaginez, en comparaison, que vous produisiez une série TV sur TF1 et que TF1 volontairement éteigne les postes de ses téléspectateurs pour vous forcer à payer pour qu’il les rallume … hum … je sens que vous n’iriez plus vraiment voir TF1).

Les médias sociaux s’utilisent de différentes manières et ne sont pas forcément toujours des médias de conversation non plus : il y a en effet, pour prolonger ce qui précède, plusieurs façons d’utiliser les médias sociaux ; encore une différence avec les mass media pour lesquels il n’y a qu’une façon les utiliser. Les médias sociaux peuvent être utilisés comme un outil de conversations et d’échange, mais pas seulement. Ils peuvent être aussi, souvent un moyen d’expression individuelle et personnelle hors de la conversation…

le dessin de Frédéric Cavazza qui fait mouche : les médias sociaux ne sont pas des mass media mais pas des médias de communauté non plus (décidément, nous devenons un peu contrariant aujourd’hui !)

Comme l’a démontré Frédéric Cavazza, même si son schéma est un peu restrictif. Les mass media quant à eux, sont consommés d’une seule manière. Ce qu’il peut y avoir de plus fluctuant dans les mass media en termes de consommation, est le moment de la visualisation, du fait la montée en flèche de la TV de rattrapage, qui n’est en fait qu’un mass media décalé

En conséquence de ce qui précède, les audiences des publicités sur les média sociaux ne sont donc pas vraiment des audiences cumulées, il faut se méfier des chiffres.

mas media vs médias sociaux
La publicité Perrier sur Facebook avec ses 6 millions de “vues » avec son ciblage “djeunz” (par “vues” entendez “affichages” ce qui n’est pas vraiment pareil)

Et quand bien même, les chiffres atteints sont et restent modestes, surtout au vu des sommes engagées qui sont conséquences et hors d’atteint des petits budgets (les petits budgets qui essaient de micro-cibler des audiences sur Facebook, j’en connais, arrivent finalement, avec la pub, à des résultats bien plus faibles que ce que nous pouvons faire sur ce blog par exemple et sans publicité ; pour des sujets comparables s’entend).

C’est aussi que les chiffres « d’audience » des mass media et des médias sociaux sont sans commune mesure : pour m’en convaincre, je me suis penché sur les chiffres d’audience des médias, ceux-ci sont énormes mais il existe des variations d’interprétation sur la valeur du point d’audience. Celle-ci est fluctuante (entre 561 000 et 581 000 personnes selon mes calculs avec une conclusion similaire sur ce blog), chaque audience moyenne est donc absolument énorme.

Même une petite chaîne de niche comme BFMTV, qui réaliser une audience moyenne de 2%, touche près d’1 million de spectateurs en moyenne. Le pic de début de soirée (entre 21h15 et 21h30) représente quant à lui une audience de 27 millions de personnes, tous les jours saufs le samedi.

Nutella
A : la vidéo amateur anti Nutella, sans publicité mais avec une audience « américaine »

Mass media - Orangina

B : mission 404, la vidéo scénarisée de Studio Bagel (Canal+), super production Web et succès de « branded content » à la croisée du placement de produit et de la série Web ; très réussie. 

audiences TV
Le pic d’audience du soir sur la TV, mass media par excellence

Ainsi, si on veut comparer des audiences sur YouTube par exemple, nous prendrons deux exemples extrêmes : (A) une vidéo d’amateur la plus vue au monde sur Nutella (presque un score à l’américaine) et (B) la vidéo professionnelle de Studio Bagel (Canal+) « mission 404 » (une superproduction de plusieurs millions d’euros très bien réalisés). Les audiences cumulées de ces vidéos atteignent 6 millions environ d’auditeurs chacune, soit très peu en comparaison et surtout avec un profil de lecture dans le temps qui est très différent (les mass media concentrent leur audience sur des moments brefs, sauf avec le rattrapage qui allonge un peu la durée de visibilité, alors que les médias sociaux diluent leurs dans la longueur du temps).

Certes, il y a Gagnam Style avec son milliard de vues, mais cela sort tout à fait du cadre et nous vous renvoyons ainsi à notre analyse du phénomène coréen sur le livre La communication digitale expliquée à mon boss sur http://amonboss.com.

Google resserre les boulons sur YouTube et cherche son modèle économique de mass media : rien d’étonnant, au vu de ce qui précède, et c’était aussi un des buts de cette analyse que de démontrer ce point, que YouTube soit en mode panique. La faible monétisation de ses audiences malgré le bla-bla publicitaire autour des plates-formes médias sociaux y est pour quelque chose. Les fondateurs de YouTube ont été priés de lancer d’autres projets et un pur produit « made in Google » a été dépêché pour faire le ménage sur la plateforme vidéo bien connue.

Ces plates-formes médias sociaux ne sont pas, de facto, des médias de masse : les contenus y sont trop nombreux et trop chers (une vidéo de 15 minutes en HD pèse environ 200 millions d’octets, ce n’est pas rien, et encore, si vous ne la comprimez pas elle fait un GO) et coûte les yeux de la tête à diffuser sur les CDN (Content Delivery Networks) car pour diffuser ces fichiers très lourds, il faut des infrastructures lourdes et spéciales.

Il en coûterait ainsi à YouTube environ 100 millions de dollars par an en bande passante et stockage uniquement, ce qui me paraît d’ailleurs un poil sous-estimé. En regard de ces coûts gigantesques, l’audience reste faible et la monétisation de YouTube est un vrai problème (qui n’est pas nouveau et qui persiste). Si l’on essaie de l’appliquer des modèles publicités mass media à de niche, on risque d’avoir des déconvenues certaines.

Les médias sociaux fonctionnent différemment des mass media : en conclusion, voici une nouvelle incitation pour les marques à regarder différemment les médias sociaux et à ne pas céder à la facilité des médias payants qui finalement, ne vous en donneront pas beaucoup plus pour votre argent, si tant est que vous en ayez assez pour nourrir ses ogres affamés de bande passante et de publicité.

utilisation des social media
Ne pas confondre mass media et médias sociaux

 

Ne pas confondre médias payants, médias en propre et médias de bouche à oreille. La vision publicitaire des médias sociaux a le mérite de commettre 2 bévues en une : elle amène une logique de média payant (mass media) en complément d’une logique de média en propre (la page Facebook érigée en principe de base des médias sociaux alors qu’elle s’apparente plus à une logique de média en propre)

Un retour aux fondamentaux du marketing bouche-à-oreille s’impose, il est temps de s’y mettre.

Yann Gourvennec
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Yann Gourvennec

Yann Gourvennec created visionarymarketing.com in 1996. He is a speaker and author of 6 books. In 2014 he went from intrapreneur to entrepreneur, when he created his digital marketing agency. ———————————————————— Yann Gourvennec a créé visionarymarketing.com en 1996. Il est conférencier et auteur de 6 livres. En 2014, il est passé d'intrapreneur à entrepreneur en créant son agence de marketing numérique. More »

13 commentaires

  1. Super article. Merci Yann. Cote analogie les reseaux sociaux sont plus proches de l email et du telephone que des « Mass media » et donc mieux adapte au word of mouth marketing ou carrement a … la vente.

  2. Article rafraichissant, même si je ne partage pas l’intégralité de l’analyse. 1. Cela fait longtemps que les « mass média » diffusent les mêmes infos, avec des informations exclusives limitées. Le « fail » de l’AFP / mort de Martin Bouygues, repris en boucle l’a prouvé encore la semaine dernière. 2. La notion d’audience pour les mass media est également questionnable. Il n’y a pas/plus une seule façon de lire son quotidien national ou encore de regarder un match de foot à la télé. Certains vont regarder le match seul avec une bière et des chips, d’autres en bande au café des sports du coin, d’autres encore avec le son de la télé éteint et une radio à fond, parce que le commentateur télé l’insupporte… On pourrait multiplier les exemples. L’audience est difficilement mesurable, quel que soit le média étudié. Ce qui est sûr, c’est que l’engagement exprimé sous forme de like, share ou commentaire a au moins autant de valeur que l’extrapolation du nombre supposé de personnes devant l’écran calculé par les boitiers de Médiamétrie dans le salon d’une dizaine de milliers de foyers français 🙂

    1. Merci Xavier pour ces commentaires pertinents et pour le retour positif sur l’article. 1) Je suis d’accord avec le syndrome AFP (vous remarquerez comment il a été étouffé par la suite, les journalistes n’aiment pas se remettre en question. On devra attendre la mise à jour de Arrêt sur Images pour en reparler). Ceci étant cela ne vient pas à mon avis contredire mon point. Au contraire. Sur les médias sociaux, il y aura toujours des gens comme vous pour critiquer l’AFP, sur les médias traditionnels, on gobe. D’ailleurs, je me suis fait avoir aussi : « si ça vient d’un journaliste ça a dû être vérifié etc. » Mon analyse ne comparaît pas la qualité de l’information, mais sa diffusion. Pour la qualité, nous sommes d’accord, même si heureusement il reste aussi beaucoup de bons journalistes. 2) OK pour le caractère discutable de l’audience sur les médias traditionnels. Mon argument ici est de réfuter la notion même d’audience pour les médias sociaux.

  3. En parlant de mass media, combien de gens zappent de postes lors des messages commerciaux ? Et on essaie de nous faire croire de auditoires artificiels …

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